« Mais… qui va garder les gosses? »

« On ne trouve pas de candidate… » Ce constat désabusé termine systématiquement toute discussion autour de la parité, voire de la mixité proportionnelle, à propos de la présence des femmes dans le travail militant. Or qu’est-ce qui bloque dans le travail militant pour les femmes?

Qu’est-ce qui empêche de recruter des candidates pour des élections, ou des militantes de terrain dans les syndicats, alors que les femmes représentent 72% des personnes employées dans l’Education Nationale ? Cet article se fonde sur une hypothèse: les femmes n’ont pas le temps. Toutes les études de l’INSEE convergent vers le même résultat: dans les couples hétérosexuels avec enfants, les femmes effectuent 41h de travail domestique dans sa conception extensive par semaine, quand les hommes en font 27h. Les sceptiques peuvent cliquer . 

On vous propose donc ici un outil qui a ses limites, mais qui a le mérite d’être opérationnel quelle que soit la composition du ménage.

Pour recruter des militant·es et des élu·es, il faut qu’elles et ils aient du temps, et comme le travail domestique ne va pas s’amenuiser par miracle, il faut que des conjoint·es en fassent plus. Pour être claire, en majorité des hommes. Donc on va chercher à compter, mesurer, admettre des marges d’erreur, d’interprétation, de subjectivité, bref, on va lister les tâches, sachant que les femmes ont tendance à sous-estimer leur investissement quand leurs conjoints font l’inverse.

 

ALORS, PAR QUOI ON COMMENCE? 

1) On fait deux colonnes, et on liste ce que fait chacun·e. Le travail domestique est multiple. Certaines tâches sont évidentes: sortir les poubelles, remplir le lave-vaisselle (quand on en a un), faire les courses, aller chercher le pain, donner le bain aux enfants (quand on en a), payer la nourrice et faire la déclaration à Pajemploi. Elles sont physiquement identifiables et quantifiables, sont faciles à attribuer et permettent de se faire une idée de l’ampleur du travail à accomplir. Certain·es ont peut-être employé une personne qui fait une partie de ces tâches. Avoir une idée claire des tâches effectuées par cette personne aide également à la prise de conscience. Pour avoir une idée de ce que ça donne, c’est là: repartition-compressé

2) D’autres tâches sont plus fuyantes à définir, plus immatérielles : penser à acheter un cadeau pour un anniversaire, à faire la fameuse déclaration pour Pajemploi, anticiper les vacances, l’achat des billets de train ou les locations, lire des livres sur l’éducation, passer un coup de téléphone à une personne âgée de la famille, gérer ses courses voire sa tutelle. C’est la désormais fameuse charge mentale, dont il est montré qu’elle pèse essentiellement sur les femmes. On peut voir ça sur le site du CNRS pour s’en convaincre. Ainsi, si « acheter le pain » est bien une tâche qui peut être effectuée par une personne, « penser à dire à son ou sa conjointe de passer prendre le pain » en est une autre autrement plus insidieuse.

Prendre en charge une tâche, ce n’est pas seulement l’exécuter. Attendre de son ou sa conjointe de lui rappeler d’effectuer cette tâche n’est pas une prise en charge suffisante et réelle.

3) Une fois qu’on a fait cette liste, une 1ère façon de compter peut consister à envisager le nombre de tâches par conjoint·e. Cela donne un 1er résultat, nécessairement biaisé, imparfait, que l’on va chercher à compléter et améliorer. On peut aussi tenter de répartir d’ores et déjà en pourcentage: si Roméo va chercher Progéniture 2/5 dans la semaine, alors Juliette le fait 3/5. Nous voilà déjà à 40% pour Roméo, VS 60% pour Juliette.

4) Les tâches ménagères ne sont par ailleurs pas toutes faites avec la même régularité. Si « acheter le pain » ou « aller chercher les enfants » est une tâche quotidienne, ou quasi, le fait de penser à organiser les vacances estivales se fait à une période donnée dans l’année, sans doute pas tous les jours. On peut donc, à partir de la 1ère liste, établir avec quelle régularité les tâches sont effectuées. A la maison, on a attribué un « Q » pour « quotidien », un « H » pour « hebdomadaire », un « M » pour « mensuel », et je vous laisse deviner la lettre choisie pour les tâches annuelles (attention, c’est difficile 😉). C’est une 2ème indication. 

5) Une 3ème indication consiste à mesurer le temps accompli par tâche, à vue de nez. Cet exercice présente lui aussi des limites. En effet, comment compter les tâches mensuelles par exemple? On peut estimer que l’on passe 2 heures à gérer le linge par semaine. Mais comment quantifier le fait de penser à organiser les vacances? Pas simple. On peut tenter de répartir par semaine, une fois l’estimation annuelle faite. Si un·e conjoint·e passe 12h à gérer des vacances, alors ça fait 1h/mois, soit 0,25h/semaine. C’est imparfait, soit. Ca permet de compter, d’objectiver. On arrive à une indication de durée. 

6) Les tâches ménagères et parentales n’ont en effet pas toutes la même « valeur », et ne réclament pas toutes le même type d’investissement. Certaines sont agréables, ou valorisantes, d’autres franchement pénibles, et ça aussi, ça s’objective. Le fameux « ça ne me dérange pas » est un joker qu’on vous conseille de ne pas utiliser, parce que ça fausse un peu le résultat. Allez, personne n’aime nettoyer les toilettes. Nous, à la maison, on a mis « A » pour « agréable » et « C » pour « contraint ». Bon d’accord ça fait deux « A » (celles et ceux qui ont suivi le petit 4 s’en souviennent). Mais on avait mis des couleurs différentes pour différencier 😬. Voilà pour le 4ème comptage. 

ROULEMENTS DE TAMBOUR… 

Je ne sais pas comment font les sociologues, et ne suis pas une professionnelle de la question, j’ai juste tenté chez moi d’objectiver mes journées parce que j’aime mon métier, je suis engagée syndicalement, et que je ne voulais pas que ça s’arrête. Bien d’autres l’ont fait, on peut citer par exemple Maydée, application financée par la Région Ile-de-France pour quantifier le travail domestique. L’INSEE publie régulièrement des enquêtes sur le sujet, par exemple . 

Qu’est-ce que ça a donné? Je suis une femme en couple avec un homme, et nous avons deux jeunes enfants. Au moment où nous avons tenté cette expérience, il semblerait que j’aie fait 60% du travail domestique par semaine quand l’amoureux en faisait 40%. J’estime que 55% de « mes » tâches sont agréables à accomplir, tandis que pour l’amoureux on monte à 70%. Je réalisais beaucoup de tâches quotidiennes quand mon conjoint s’investissait plus au mois. Bref, nous sommes un ménage banal. 

Est-ce que c’est scientifique? Non, clairement. Est-ce que ça aide? Oui. A la maison, l’amoureux a pris à son compte une soirée de plus avec les enfants, et essaye de « penser à des trucs ». Il est allé contre son idée que « avec son métier ce n’était pas possible », et finalement ça va. Des podcasts lui ont permis d’envisager qu’il valait mieux qu’il ait « ses » domaines réservés (le linge, l’administratif par exemple), ce qui permet d’éviter que je me retrouve à grignoter ses prérogatives, cédant à la pression sociale. PLAFOND DE VERRE

Bref, on fait comme tout le monde, on tâtonne, et moi, je peux continuer à militer. 

Le petit exercice proposé est modeste, et sans doute imparfait, mais il a ce mérite de permettre de voir se concrétiser chez soi un état de fait documenté depuis longtemps par les sociologues. Alors, on tente?

Parce qu’à ne rien faire, on n’est pas près de recruter plus de militantes ou d’élues.

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