L’éducation à la sexualité sauve des vies !

Jeudi 27 novembre 2024, le Ministre délégué à la réussite scolaire et à l'enseignement professionnel s'en est pris à l'éducation à la sexualité (EAS) et aux futurs programmes d'éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle (EVARS) devant le Sénat. Billet d'humeur.

Monsieur le Ministre,
Mesdames, Messieurs les sceptiques,
en ce moment, on entend « tout et n’importe quoi » sur l’éducation à la sexualité (EAS) et sur l’éducation à la vie affective, relationnelle et à la sexualité (EVARS). Je ressens comme une envie de faire un point en tant qu’enseignante qui assure des séances d’EAS depuis plusieurs années, en tant que formatrice qui forme les collègues à faire de l’EAS depuis plusieurs années, et enfin en tant que militante syndicale qui suit de près les avancées, ou pas, des textes institutionnels.
Les deux premières choses qu’on apprend quand on se forme en EAS, c’est de ne pas parler de soi et de ne pas se positionner en parent.

« En tant que père de famille »

Par conséquent, intervenir sur l’EAS et sur l’EVARS « en tant que père de famille » [sic], même devant des sénateurs et des sénatrices, est pour moi un premier indice assez évident de méconnaissance du sujet. Et cette méconnaissance est telle qu’elle fait écho pour moi aux travaux de chercheurs et de chercheuses sur l’inceste et sur la domination adulte. Derrière l’argument « il faut protéger nos enfants » se cache une silenciation dangereuse pour les enfants.
Comme je crois profondément en l’éducabilité de tou·te·s, je vous conseille de lire Le berceau des dominations de Dorothée Dussy, En bons pères de famille de Rose Lamy, La culture de l’inceste coordonné par Iris Brey et Juliet Drouar et enfin… Protéger nos enfants de Gabrielle Richard. Vous y apprendrez que dans les familles, il arrive qu’on agresse et qu’on viole. Et que, parce que ça a lieu dans les familles, il est difficile pour les enfants de comprendre la transgression et de parler.
Dans son rapport de novembre 2023, la CIIVISE parle de 160.000 enfants victimes violences sexuelles chaque année, soit un·e enfant victime d’un viol ou d’une agression sexuelle toutes les 3 minutes.
Ces enfants, ce sont nos élèves. Alors quand j’entends que c’est aux parents de faire de l’EAS ou encore qu’il faut protéger les enfants de l’EAS, j’ai envie de hurler face à autant de méconnaissance car c’est ce genre de méconnaissance qui est dangereuse, pas l’EAS.

Le mythe de la « théorie du genre »

Ensuite, quand j’entends parler de « théorie du genre », là aussi je me dis que c’est un indice assez facile pour se rendre compte d’un manque criant de connaissance doublé d’une panique morale.
Il n’existe pas de « théorie du genre » ; il existe des études universitaires et scientifiques sur le genre, qui est une réalité dans nos sociétés.
Vous pourrez parler de « théorie du genre » autant que vous voudrez, vous pourrez l’interdire alors qu’elle n’existe pas, les personnes non-binaires et les personnes trans continueront d’exister parce que oui, on ne peut pas interdire à des êtres humains d’exister. Elles, ils et iels existent et parfois, oui, ce sont nos élèves.
Lundi, lors d’une heure d’EAS, dans un bilan d’élève justement, il y avait écrit : « J’espère qu’il y aura d’autres interventions sur la sexualité (les LGBT plutôt)… S’il vous plaît, des gens en ont besoin. »
Si vous estimez que penser que les personnes non binaires et transgenres existent est militant, je vous répondrais sans sourciller que penser le contraire l’est tout autant. A une différence près : mon militantisme n’est pas mortifère, le vôtre si. On ne tue pas des gens parce qu’ils sont cisgenres, mais on tue des gens parce qu’ils sont transgenres. Une fois encore, je crois en l’éducabilité de tou·te·s, et même en celle des adultes, alors je vous invite à vous rapprocher d’associations de personnes concernées pour découvrir ce qu’elles, ils et iels vivent vraiment.

Un enseignement déjà encadré

Enfin, quand vous parlez d’« encadrement très strict » de ce qui se dit et se fait en séance d’EAS, je me permets de vous rappeler ou de vous apprendre que c’est déjà le cas : il y a des circulaires qui encadrent l’EAS, il y a des agréments qui sont donnés aux associations, il y a des IPR qui pilotent les missions EAS dans les académies… Dans ce contexte, oser affirmer que l’école ne doit pas être un « terrain militant » est, une fois encore, une preuve criante de votre manque de formation sur le sujet.
D’ailleurs, croire que l’école est neutre est un mythe ! Croire qu’en n’abordant pas certains sujets l’École serait neutre est un mythe ! Faire croire aux élèves et à la société que les personnes non binaires ou transgenres n’existent pas n’est pas neutre en plus d’être faux, invisibiliser les besoins de réponses des élèves n’est pas neutre, ne pas vouloir parler des orientations sexuelles et des parentalités n’est pas neutre… Si vous aviez réellement fait attention aux projets de programmes et que vous étiez formé, vous sauriez que les professionnels de l’éducation, et notamment les professionnels de l’EAS que nous sommes et que vous n’êtes pas, connaissent les stades de développement psycho-affectifs des enfants et des adolescent·e·s, et que les futurs programmes d’EVARS les prennent en compte.

Et si on se formait avant de parler ?

Que vous le vouliez ou non, Monsieur le Ministre, vous n’êtes manifestement pas formé et ce n’est pas parce que vous êtes père de famille que vous savez. Enseigner est un métier, qui n’est pas le vôtre. Enseigner l’EAS requiert une formation que vous n’avez pas.
Monsieur le Ministre, Mesdames et Messieurs les sceptiques, venez assister à une séance d’éducation à la sexualité.
Vous verrez ainsi le travail que mènent les professionnels, vous verrez comment réagissent les élèves et vous constaterez, comme moi, à chaque séance, leur intérêt et leur gratitude. Comme je suis désespérément optimiste, je suis certaine que si vous acceptez de vous former, de rencontrer des élèves, de discuter avec des enseignant·e·s, de discuter avec des personnes LGBTQIA+, au lieu de nous ralentir, vous aussi vous serez convaincu que l’éducation à la sexualité sauve des vies.