La laïcité n’est pas un sport de combat

La pandémie pour un temps oubliée, la question de la laïcité à l’école refait surface en cette fin d’année à travers la publication du rapport Obin mais aussi d’interventions sur le terrain un brin déconcertantes.

Après l’assassinat de Samuel Paty, le ministre de l’Éducation Nationale avait choisi de confier à Jean-Pierre Obin un rapport sur la formation des enseignant.e.s aux questions liées à la laïcité. Le choix même de Jean-Pierre Obin pouvait sérieusement poser question.

  • D’une part parce que le point de vue de celui-ci sur la laïcité à l’école est bien connu, l’ancien inspecteur de l’Education Nationale ayant profité de sa vision alarmiste pour engranger les succès en librairie.
  • D’autre part parce que quelques jours après l’assassinat de Samuel Paty, ce même Jean-Pierre Obin décrivait les enseignants comme « largement acquis à l’islamo-gauchisme ». En termes de considération des personnels, on a vu mieux.

Les conclusions de ce rapport sont donc attendues : il pointe un manque de formation des personnels, voire une confusion intellectuelle sur ce qu’est la laïcité.

Le rapport signale aussi la progression chez les élèves de la vision d’une « laïcité coercitive, voire punitive, conçue pour brider l’expression des religions, et d’enseignants insensibles voire hostiles à leurs convictions ». Comment pourrait-il en être autrement, cependant, quand la laïcité n’est envisagée, médiatiquement et surtout politiquement, y compris par le ministre de l’Education actuel, tenant d’une « ligne ferme », avant tout sous l’angle des interdits et particulièrement celui du port du voile dans les établissements scolaires ?

Comment pourrait-il en être autrement quand la laïcité est envisagée avant tout sous l’angle des interdits ?

Ce sont d’ailleurs de rares cas de ports du voile qui ont déclenché durant cette année scolaire plusieurs interventions de la mission « Valeurs de la République » dans des établissements du 93. Si les problèmes existent ici ou là, les méthodes utilisées interrogent. Visites surprises, photos volées, audits annoncés quelques jours à l’avance, dénonciations ou pressions : voilà qui semble peu compatible avec les objectifs d’éducation et de vivre ensemble affichés, même si les différents audits menés ont aussi pu ensuite être l’occasion de débats intéressants.
Dans le même temps certains établissements du supérieur peuvent connaître d’inquiétantes évolutions sans que rien ne soit fait. Et les établissements du secondaire peuvent quant à eux connaître bien d’autres manquements aux valeurs de la République sans que le même empressement soit manifesté pour y remédier. Difficile de ne pas voir alors dans tout ce contexte les signes d’une forme de panique morale, comme le décrit bien Philippe Watrelot, mais aussi d’un agenda politique.

Difficile de ne pas voir dans tout ce contexte les signes d’une forme de panique morale.

Qu’il s’agisse du rapport Obin ou des missions qui interviennent localement, les conclusions semblent toujours les mêmes : il suffirait de mieux connaître la laïcité pour qu’elle s’applique, pour que les peurs des collègues, les incompréhensions des élèves, magiquement, s’effacent. Que les personnels et les élèves « relisent le vade-mecum » et tout ira mieux !

Il y a, clairement, des progrès à faire en matière de formation. L’observatoire de la laïcité, tout juste démantelé, ne cessait d’ailleurs de le dire. Mais réduire les soucis rencontrés, les peurs et les incompréhensions à des questions de méconnaissance de la laïcité, ce serait oublier que ces tensions sont aussi et souvent les symptômes de problèmes plus larges (et plus graves). C’est aussi envoyer un bien étrange message aux personnels, encore traumatisés par la mort de l’un des leurs. C’est enfin penser la laïcité comme une valeur qu’il faudrait ingurgiter et non un principe qu’il faut faire vivre.

Il y a des progrès à faire en matière de formation mais réduire les soucis rencontrés, les peurs et les incompréhensions à des questions de méconnaissance de la laïcité, ce serait oublier que ces tensions sont aussi et souvent les symptômes de problèmes plus larges

Quelques jours après l’assassinat de notre collègue Samuel Paty nous écrivions ceci à propos de ces valeurs de la République auxquelles nous sommes toutes et tous très fortement attaché.e.s : « on ne défend pas des valeurs. On les fait vivre, on les incarne, pour se donner une chance de les partager. L’enseignement, et particulièrement celui de la laïcité, n’est pas un sport de combat ». Cela reste malheureusement particulièrement d’actualité.

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