Le projet ministériel du « choc des savoirs » et son incidence sur le métier de CPE

Alors que les CPE bénéficient depuis une décennie d’un texte de cadrage clarifiant leur champ d’intervention (circulaire de missions de 2015), la publication d'un avis du CSP le 30 janvier 2024 a indigné toute la profession.

Le projet ministériel du « choc des savoirs » et son incidence sur le métier de CPE paraissait déjà très complexe… c’était sans compter sur l’avis du CSP, qui a remis 100 sous dans la machine vers l’école d’avant-hier.

Dans un contexte marqué par la publication des résultats de l’enquête PISA (décembre 2023), le gouvernement a décidé de réformer (sans le dire) le collège en répartissant les élèves en « groupes de besoins » ou « groupes de niveau » (selon les interlocuteurs) concernant l’enseignement du français et des mathématiques.

En parallèle et dans le souci de rétablir l’autorité dans les collèges, l’avis du CSP préconise de recentrer la mission des CPE sur le rétablissement de l’ordre scolaire en faisant « respecter le règlement intérieur ». Ce projet serait censé « soutenir les enseignants dans l’exercice de leur autorité » en incitant à prononcer davantage de « sanctions réelles et immédiates ». Quelle méconnaissance du fonctionnement de nos EPLE ! Les CPE œuvrent déjà au quotidien au respect du règlement intérieur avec les équipes éducatives et pédagogiques.

Passé le choc de la stupéfaction et de la colère, les collègues, les formatrices et formateurs CPE au sein des Inspé et des Universités ont réagi en publiant une tribune dont cet article vous présente les grands axes et les paradoxes.

Les paradoxes soulevés par le projet

Alors que l’École est un sujet de société préoccupant l’ensemble des français.e.s, le gouvernement envisage, sans concertation, une réforme du collège en contradiction totale avec les préconisations internationales et les recommandations de l’OCDE. Ces décisions contredisent les politiques éducatives basées sur les connaissances scientifiques actuelles. Que ce soit dans le champ de la construction des inégalités, du processus de décrochage scolaire ou encore de la lutte contre la violence, ces décisions affirment la vision conservatrice de l’École chère au pouvoir exécutif.

Premier paradoxe

Vouloir « rétablir l’ordre scolaire » en prononçant davantage de sanctions et d’exclusions, part d’un présupposé infondé. En effet, ce prétendu laxisme des éducateurs et des CPE, serait un héritage de la période « 68 ». Or, il n’en est rien, l’École française est celle qui punit le plus parmi toutes celles des pays de l’OCDE.

Deuxième paradoxe

De nombreuses études ont démontré le rôle du CPE dans l’apprentissage du vivre ensemble et dans d’autres missions favorisant un bon climat scolaire dans l’établissement : accompagnement des élèves, relations aux parents (Burdin, 2020 ; Favreau, 2020 ; Mikailoff, 2020) etc… Vouloir réduire ce rôle au seul maintien de l’ordre et donc avoir recours aux exclusions systématiques est totalement contre-productif, car facteur d’exclusions supplémentaires. La recherche universitaire a maintes fois confirmé l’échec d’une politique répressive et les effets néfastes du recours excessif aux sanctions ; voir par exemple l’ouvrage de Debarbieux & Moignard (2018), les travaux de Moignard (Moignard & Ouafki, 2015, 2016 ; Moignard & Rubi, 2018) ou les travaux de Julien Garric (2019, 2021).

Troisième paradoxe

Le projet est à l’opposé des missions éducatives du CPE tel qu’il exerce au XXIème siècle, car il repose sur une vision passéiste et fantasmée de l’École et de ses acteurs.

La vision du métier de CPE défendue par le Sgen-CFDT

  • Savoir décrypter la complexité des situations s’avère être un préalable incontournable avant tout diagnostic.
  • Inventer des alternatives au tout punitif fait partie de l’intelligence professionnelle des CPE.
  • Participer au développement des compétences psychosociales des élèves dans la perspective du vivre ensemble contribue à les insérer dans le tissu des relations sociales de la communauté éducative.
  • Contribuer au développement de l’éducation citoyenne des élèves est une dimension cardinale de l’action éducative des CPE.
  • Inciter et encourager les comportements responsables, favoriser la coopération entre élèves plutôt que la compétition, construire des relations fondées sur le respect mutuel, etc. font partie du quotidien des collègues.

Nous avons développé plus largement notre vision du métier de CPE dans cet autre article.

En complément de cet argumentaire et pour information, les deux épreuves du concours externe CPE (session mars 2024) démontrent toute la place du CPE et sa contribution, avec le service vie scolaire, au sein de la communauté éducative dans le cadre de l’éducation à la citoyenneté, mais aussi un CPE (du XXIème siècle) qui participe au bien-être des élèves dans une vision systémique et de prise d’initiatives.

Alors qu’une énième réforme de la formation initiale se profile, sans qu’aucun bilan sérieux de la précédente ne soit effectué, ne serait-il pas encore temps de se pencher sur la question de la formation des personnels éducatifs et pédagogiques à la prise en charge des difficultés de comportement ? Plutôt que de sanctionner à tout-va, il convient de former les personnels à un usage raisonné de la sanction comme « nouveau départ » et non comme « une fin » (Erick Prairat).

Les revendications du Sgen-CFDT pour les personnels d’éducation

  • Une formation commune avec les personnels des communautés éducatives.
  • Un nombre suffisant de postes dans tous les EPLE.
  • Des équipes de vie scolaire complètes et formées.
  • Des temps de concertation avec les membres des communautés scolaires.

 

Article réalisé avec le concours des formatrices CPE militantes du Sgen-CFDT


Pour aller plus loin : une bibliographie scientifique dont le CSP pourrait s’inspirer pour nourrir ses avis.

Burdin, C. (2020). Rôles et places des Conseillers Principaux d’Éducation (CPE) dans leurs entretiens avec les parents de collégiens. Une approche en didactique professionnelle. [Thèse de doctorat]. Nantes.

Debarbieux, É., & Moignard, B. (2018). 1. Les impasses de la « punition ». In L’impasse de la punition à l’école (p. 1129). Armand Colin. https://doi.org/10.3917/arco.debar.2018.01.0011

Favreau, M. (2020). L’écoute au cœur du métier des CPE selon une étude sur leur représentation professionnelle. Carrefours de l’education, n° 49(1), 4760. https://www.cairn.info/revue-carrefours-de-l-education-2020-1-page-47.htm

Garric, J. (2019). L’exclusion ponctuelle de cours dans l’enseignement secondaire français : Les effets d’une pratique punitive banalisée. McGill Journal of Education / Revue des sciences de l’éducation de McGill, 54(2), 245264. https://doi.org/10.7202/1065657ar

Garric, J. (2021). Mettre les élèves à la porte : Étude compréhensive des effets de l’exclusion ponctuelle de cours sur la déviance scolaire. Revue française de pédagogie. Recherches en éducation, 210, Article 210. https://doi.org/10.4000/rfp.10123

Mikailoff, N. (2020). Le conseiller principal d’éducation accompagnant au cœur de collectifs de travail. Carrefours de l’éducation, 1(49), 3145.

Moignard, B., & Ouafki, M. (2015). Des élèves à la porte. Les nouvelles frontières de la prise en charge des élèves « perturbateurs ». In Aux frontières de l’école (p. 87108). Presses universitaires de Vincennes. https://doi.org/10.3917/puv.rayou.2015.01.0087

Moignard, B., & Ouafki, M. (2016). Des élèves à la porte. Presses universitaires de Vincennes. https://www.cairn.info/aux-frontieres-de-l-ecole–9782842924508-p-87.htm

Moignard, B., & Rubi, S. (2018). Les figures de la déviance à l’école : Les “élèves perturbateurs” comme analyseur de la transformation des milieux éducatifs et scolaires. Éducation et sociétés, n° 41(1), 4361. https://www.cairn.info/revue-education-et-societes-2018-1-page-43.htm