Diffusée aux Etats-Unis de 2002 à 2008, la série The Wire décrit sous toutes les coutures la vie dans les quartiers défavorisés de Baltimore. Lors de sa 4e saison elle s’est particulièrement penchée sur les questions d’éducation.
Article extrait du dernier numéro de notre revue Quoi de Neuf ? : « École et cinéma ».
Sujet d’articles universitaires, de thèses, de séminaires, The Wire est désormais un objet d’étude à part entière tant la série a su décrire avec plus d’acuité que d’autres des problématiques contemporaines. L’éducation en fait partie et la saison 4 de The Wire est souvent considérée comme une des fictions les plus pertinentes sur le sujet. Y compris pour réfléchir à notre système scolaire, finalement pas si franco-français. Toute ressemblance…
Premiers contacts
Au début de la 4e saison, un jeune ex-policier, Pryzbylewski (Pryz), se retrouve propulsé prof de maths dans ce qui est à peu près l’équivalent d’un collège difficile. Sans formation, parachuté face à des élèves en grande difficulté scolaire et sociale, Pryz va vivre en accéléré le parcours d’un professeur débutant. Et comme le dit une collègue « l’enjeu de la 1ère année ce n’est pas les gamins, c’est votre survie ». Pour quiconque a déjà enseigné, difficile de ne pas se reconnaître lors des quelques scènes, globalement très réalistes, qui le montrent dans sa classe. On verra donc : des élèves qui font comme s’il n’était pas là ou se jouent de lui parce qu’ils connaissent mieux le système que lui ; la mise en place d’une usine à gaz sanction/récompense impossible à appliquer ; le manque de concentration mais aussi de matériel chez les élèves et enfin l’étonnement et la révolte des élèves quand Pryz se fait plus strict petit à petit. Mais, magie de la fiction, Pryz prend ses marques à vitesse grand V. Et les pistes de progrès sont aussi réalistes : prise en compte de la situation des élèves, observation de leurs pratiques lors des temps périscolaires pour en tirer des activités pédagogiques. Autant d’éléments qui permettent à Pryz de tisser un rapport de confiance avec sa classe, gagner la reconnaissance de ses pairs et semble-t-il faire progresser ses élèves. Il y a ainsi dans le parcours de Pryz de quoi faire un support de formation pour enseignant débutant bien plus efficace que les DVD de gestion de classe autrefois distribués.
Décrochage et expérimentation
Malgré tous les efforts de Pryz, trois élèves restent clairement réfractaires à son enseignement. Le personnage de Bunny, lui aussi ancien policier, tente une mise à l’écart « expérimentale » de ces élèves et il est bien vite rattrapé par tout ce qui ne relève pas strictement du domaine scolaire. L’environnement social des élèves le conduit à recevoir une leçon sur le savoir-faire des dealers, inversant les positions traditionnelles du professeur et de l’élève. La prise en compte de ces difficultés le conduit d’ailleurs très loin : il les emmène par exemple au restaurant suite à un exercice de construction réussi. Sommes-nous encore à l’école ? La transmission d’un capital culturel dépasse largement les murs de la salle de classe. Bunny ira jusqu’à adopter l’un des décrocheurs, Naymond : la série propose ici une solution radicale pour sortir le jeune garçon de sa position de dealer, ce qui en dit long sur le pessimisme des scénaristes.
Une remise en question troublante
L’ambition de The Wire, à travers ces deux exemples, c’est de nous montrer plus largement le fonctionnement d’un système éducatif. Et de le remettre en question. Pryz découvre ainsi petit à petit un fonctionnement parfois ubuesque, à l’image des manuels de mathématiques utilisés par les élèves qui ne sont plus à jour, la dernière édition dormant sagement dans la réserve de l’établissement. Ses collègues semblent quant à eux partagés entre une forme de renoncement et de lassitude d’une part et des stratégies pour s’accommoder des injonctions contradictoires du système d’autre part. Des contradictions que Bunny rencontre lui aussi. Son expérimentation soulève des questions légitimes et bien connues (Apprennent-ils quelque chose ? Ne sort-on pas du domaine scolaire ?) qui sont l’objet de quelques scènes captivantes. Mais elle est surtout prise en tenailles entre les louanges qu’elle reçoit de la part de l’institution et la volonté de celle-ci d’y mettre un terme. Cependant là où The Wire touche le plus juste, c’est peut-être lorsque la série évoque le poids des examens et des évaluations à grande échelle. Pas de bac ici, mais un examen d’état dont les résultats sont cruciaux. Et voilà Pryz amené à renoncer au programme et à sa progression pédagogique. « Tu n’enseignes pas les maths, lui dit une collègue. Tu enseignes l’examen ».
Notre système… en pire
Au-delà des ressemblances troublantes avec les réalités de l’éducation nationale, la série témoigne ainsi d’une situation encore bien plus problématique, notamment par deux aspects. Tout d’abord, dans l’univers libéral américain, les écoles sont dotées en fonction de leurs résultats aux examens. Le personnage de Pryz ne se heurte pas qu’aux absurdités d’un examen final mais bien à toutes les difficultés posées par un pilotage par indicateurs. Plutôt que par des critères qualitatifs, c’est par des indicateurs chiffrés que le système est évalué. Le collège de Pryz parvient ainsi à produire les chiffres attendus, quand bien même ceux-ci ne veulent rien dire des apprentissages des élèves. Cet aspect, que l’on retrouve dans la police aux Etats-Unis mais aussi en France depuis une dizaine d’années, a fait l’objet d’un article de la revue philosophique Skholè (http://skhole.fr/the-wire). Par ailleurs, à Baltimore dans les années 2000, Prez et Bunny font face à une situation sans doute encore pire que celles que nous connaissons en Ile de France en termes de ségrégation scolaire et sociale. Tous les élèves de l’établissement, sans aucune exception, sont noirs. Et tous vivent dans une extrême pauvreté. Là encore la série interroge aussi nos réalités quotidiennes. Comment éviter la ghettoïsation ? Comment mesurer l’homogénéité ethnique et sociale dans certains quartiers et établissements, sans tomber dans la stigmatisation ou les indicateurs ? Regarder la saison 4 de The Wire peut ainsi avoir quelque chose de glaçant. On y voit de manière très crédible comment notre système scolaire pourrait dériver si certaines politiques étaient poursuivies.
On n’oubliera pas tout de même qu’on est dans une fiction. Si The Wire est une représentation que de nombreux.ses spectateur.trice.s ont trouvé eréaliste, on sourit un peu face à la classe toute sage de M. Pryzbylewski à la fin de la saison. Qu’importe ! Si le système éducatif auquel il appartient désormais ne l’aide clairement pas, il a réussi à tisser un lien de confiance avec ses élèves. Laisser cependant des individus seuls face aux incohérences du système et aux difficultés des élèves ne peut être une réponse satisfaisante.
Aude Paul et Florent Ternisien
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