Pouvoir, démocratie, direction d’école

Point de vue par Cécile Roaux, docteure en sciences de l'éducation et chercheuse rattachée au laboratoire Cerlis, Université Paris Descartes.

directionDirection vue par les enseignantes et enseignants

Après avoir interrogé entre autres plusieurs milliers d’enseignant·e·s sur leur position quant à la question très débattue sur le statut de la direction d’école je pourrais dresser du directeur (qui est d’ailleurs le plus souvent une directrice) un portrait en « grand méchant loup ».

Pour bien des répondants en effet celui-ci (celle-ci) est vite résumé, caricaturé, dans le personnage plus ou moins grotesque, toujours inquiétant du « petit chef ».
En tout cas du petit chef en lequel il se transformerait quasi-automatiquement si ce fameux statut lui était accordé.

vite résumé, caricaturé, dans le personnage du « petit chef »

Parfois l’on m’a parlé de petits chefs réels, d’expériences amères et de lourds abus d’autorité.
Le plus souvent c’est cette possible métamorphose du pouvoir en hybris transgressive et dévorante qui était en jeu.

directionDirection vue par les directrices et directeurs

La question du pouvoir, cette question « sale » entre toutes, est soit évitée, soit évacuée dans la tradition de notre école républicaine.

Il ne s’agit pas ici de prendre parti sur ce statut, ni de nier qu’il existe effectivement, parfois, des petits tyranneaux déplaisants, mais d’inviter précisément à une réflexion sur les liens entre l’exercice démocratique du pouvoir et le métier de direction d’école.

Il y a urgence et il me faut le souligner : dans l’autre partie de l’enquête, pour laquelle j’ai interrogé plus de 2000 directeurs et directrices, le pendant de cette image négative est une intense humiliation de bien des personnes rencontrées.

Pour beaucoup de directeurs et directrices, cette image négative est une humiliation

Car l’image du petit chef est une figure du mépris.

Cette image se double très souvent d’une assignation au « sale boulot », à cette part refusée du travail scolaire que sont :

  • la réception des parents jugés intrusifs,
  • le traitement des cas lourds de discipline
  • et les ré-ponses aux demandes bureaucratiques, évidemment jugées presqu’inutiles – comme ce fameux « projet d’école » qui est trop souvent considéré en simple exercice de style.

D’un côté le travail noble, de l’autre la direction

Ce n’est pas propre à la France, des pays comme la Belgique – où le directeur possède statut hiérarchique et pouvoir de nommer ou révoquer les enseignants – fait face comme notre pays à une crise de recrutement pour cette fonction.

Ceci reflète une réalité concrète et une idéologie dominante :

  • à l’enseignant et au seul enseignant la classe, où personne et surtout pas le directeur, ne doit lui dicter sa conduite, et où le « vrai » travail, le travail noble de transmission des connaissances s’effectue.
  • Tout le reste, l’accessoire, ce qui doit être géré pour ne pas gêner ce travail, revient à la direction.

Qu’un enseignant dysfonctionne, ce qui peut arriver, et que le directeur soit un jour obligé de le signaler à l’administration alors le voilà « une balance », l’oeil de Moscou ou l’inféodé au pouvoir politique en cours : il n’a rien à dire sur le travail en classe, même si… la plupart des directeurs sont encore des enseignants.

le voilà « une balance », l’oeil de Moscou ou l’inféodé au pouvoir politique en cours

➜ Aussi préfère-t-on parfois ne rien dire et laisser se perpétuer des pratiques indignes – et heureusement rares – de l’oeuvre éducative à laquelle la majorité est dévouée.

Conception du pouvoir

Deuxième trait de cette idéologie : une définition centraliste, quasi monarchique, du pouvoir… chez ceux qui le critiquent.

La sociologie des organisations – depuis Michel Crozier en particulier – a cependant largement démontré que même dans les bureaucraties les plus lourdes le pouvoir se construisait dans les interactions quotidiennes malgré et peut-être à cause des injonctions du sommet vers la base.

Mais nous restons prisonniers d’une conception du pouvoir lointain, coupé de la base et intrinsèquement malveillant.

conception du pouvoir lointain, coupé de la base et malveillant

Sa toute-puissance affirmée, son diabolisme, tient plus du fantasme que du réel dans bien des cas.

Bref le Pouvoir est mauvais et il convient de s’en protéger dans le refuge de la classe.

directionDirection et travail collectif

Pourquoi pas ? Certaines instructions officielles, certaines réformes ont pu paraître absurdes, peu ou pas concertées.

Mais enfin l’enfermement sur soi, sur son pré carré, est un piège, une source d’inefficacité et finalement de souffrance.
Il faut ajouter à cela que ce sont les élèves qui sont les principales victimes de ce fonctionnement « en nid d’abeille ».
Car le travail collectif est une base pour l’amélioration du climat scolaire, la prévention de la violence et finalement l’amélioration de la transmission des connaissances.

Ce travail collectif n’est pas « naturel » pour reprendre le sociologue François Dupuy, et une équipe qui entretient des relations affinitaires n’est pas nécessairement une équipe qui travaille bien ensemble.

Ce travail collectif n’est pas « naturel »

Cela arrive bien sûr, mais repose trop souvent sur un leadership lié à un charisme personnel, c’est-à-dire à une conception un peu césarienne de la démocratie entraînant une fragilité organisationnelle quand part ou s’affaiblit le chef charismatique.

Démocratie

La démocratie est une forme de gouvernement. Elle est un pouvoir qui s’exerce et se négocie en commun et elle a besoin d’institutions.

La démocratie est un pouvoir qui s’exerce et se négocie en commun et elle a besoin d’institution.

Elle est l’alternative à l’individualisme anarchique qui brise les solidarités et crée les enfermements sur soi-même et les conflits mortifères.

Elle est la base de l’universalisme du message républicain de l’école publique.

Reconnaissance du métier de direction

Pour ce pouvoir exercé en commun il est nécessaire que le métier de direction soit

  • reconnu dans sa spécificité,
  • amélioré dans ses compétences par une formation ad hoc
  • et encadré par une claire définition de ses missions et de ses leviers d’action.

Non pas simplement dans des textes officiels ou dans un statut reconnu, peut-être utile mais sûrement insuffisant, mais d’abord et avant tout dans le regard de chacun, dans le respect qui est dû à chaque métier de l’école.

il est nécessaire que le métier de direction soit amélioré, encadré et reconnu dans le regard de chacun

Cela est une révolution idéologique et progressiste : à la division sociale du travail à laquelle correspond noble et sale boulot il s’agit, dans chaque équipe d’accepter et de normer localement les conditions d’un pouvoir en construction et en négociation constantes qu’il s’agisse du pouvoir dans la classe ou du pouvoir dans l’équipe.

La bienveillance est collective ou elle n’est pas.

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