La problème d'attractivité du métier enseignant est-il spécifique à la France ? Non, la situation est générale et il y a une crise du recrutement qui n'est pas liée qu'à des problématiques de rémunération.
Le Sgen-CFDT est allé voir la situation du Portugal, pays où la crise de recrutement est majeure.
Manuella Mendonça, enseignante portugaise, syndicaliste à la Federação Nacional dos Professores (Fenprof) et membre du comité exécutif de l’Internationale de l’Éducation montre que les problèmes d’attractivité dans son pays sont liés à la rémunération et aussi à la reconnaissance du métier d’enseignant.
Quelle est la situation du vivier enseignant au Portugal ?
À la rentrée 2022, plus de 80 000 élèves étaient concernés par le manque d’enseignants dans au moins une discipline du programme scolaire.
La situation va s’aggraver avec les départs en retraite de presque la moitié des enseignants actuels d’ici 2030.
Comme le métier n’est plus attractif, le nombre de jeunes inscrits dans les formations est très en deçà des besoins. Les conséquences sont dramatiques : les élèves sont privés du droit à une éducation de qualité et les écoles essaient de trouver des solutions de secours en embauchant des enseignants non formés…
Pourquoi le métier n’attire-t-il plus selon toi ?
Depuis quinze ans, les Gouvernements portugais successifs ont pris des mesures qui ont dévalorisé le travail et le rôle des enseignants, avec une attaque sans précédent de leur professionnalisme et de leur dignité.
En outre, pendant la « troïka », l’enseignement représentait une dépense à limiter. Aussi des mesures (plus d’élèves par classe, baisse des salaires et gel des carrières) ont réduit de plusieurs millions d’euros le budget de l’éducation.
De nombreux enseignants précaires ont quitté la profession après des années de travail et les autres ont vu leurs conditions de travail se dégrader.
En 2018, la Fenprof a enquêté sur les conditions de vie et de travail dans l’éducation au Portugal, en partenariat avec l’Universidade Nova de Lisboa.
Les résultats prouvent la gravité de la situation : 76 % des enseignants montrent des signes d’épuisement émotionnel ; 43 % ne se sentent pas épanouis professionnellement ; 84 % aspirent à une retraite anticipée.
Est-ce partout le cas ? Et aussi bien dans le primaire que le secondaire ?
Le problème d’attractivité a commencé dans certaines régions (il est plus grave dans le Grand Lisbonne et l’Algarve, où le cout de la vie est très élevé), surtout dans le secondaire et dans certaines matières (TIC/informatique, portugais et anglais). Puis la pénurie d’enseignants s’est peu à peu étendue à d’autres régions, à d’autres matières, et elle va se généraliser si des mesures urgentes ne sont pas prises.
Comment agi le Gouvernement pour remédier au manque d’attractivité du métier ?
Malgré les avertissements de la Fenprof, le ministère de l’Éducation n’a que récemment assumé publiquement la nécessité de répondre à la pénurie d’enseignants – hélas, par des mesures correctives à courte vue qui ne s’attaquent pas aux causes du problème et risquent de produire l’effet inverse.
Pour exemples :
- le changement de la législation pour permettre l’embauche d’enseignants diplômés dans divers domaines scientifiques, mais sans formation en pédagogie et en didactique – un principe que la Fenprof n’admet que dans des situations extrêmes et à titre transitoire ;
- la proposition de changer le régime de recrutement des enseignants en en confiant la responsabilité au directeur de chaque école – la Fenprof s’y oppose fermement et défend le concours national actuel, pour des raisons de transparence et d’équité.
Disqualifier la profession ou la soumettre à des « petits pouvoirs » au niveau de chaque école n’est certainement pas le moyen de la rendre plus attrayante…
Quel rôle joue votre syndicat dans ces négociations avec le Gouvernement ? Quelles étaient vos propositions ?
Au Portugal, la culture du dialogue social et de la négociation collective n’existe pas vraiment. Les syndicats font des propositions qui souvent ne sont pas prises en compte dans les processus de négociation.
Le ministère de l’Éducation fixe unilatéralement le calendrier et les sujets de discussion. La Fenprof a présenté des propositions concrètes pour répondre aux problèmes de vieillissement du personnel enseignant, de l’intensification et de la bureaucratisation croissantes de leur travail, de la forte usure causée par la pratique professionnelle ou du manque de reconnaissance – symbolique et matérielle – du travail des enseignants et de leur fonction sociale.
Ces propositions, soumises aux deux derniers Gouvernements, n’ont pas été discutées. Lors d’une réunion début aout, la Fenprof a proposé au ministre un protocole de négociation en dix points, à signer à la rentrée scolaire. Si le ministre a semblé intéressé, depuis lors, et malgré l’insistance de la Fenprof, aucune réunion n’a été programmée.
De façon inattendue, la nouvelle ministre de la Science, de la Technologie et de l’Enseignement supérieur (MCTES) s’est comportée différemment. La Fenprof a présenté un protocole lors d’une réunion le 14 octobre et onze jours plus tard, une contreproposition du MCTES lui est parvenue. Une réunion est prévue prochainement pour négocier un texte acceptable pour les deux parties.
Que faudrait-il faire pour rajeunir la population enseignante et rendre ce métier attractif dans votre pays ?
Il faudrait améliorer les conditions d’exercice de la profession pour un retour des milliers d’enseignants qualifiés qui ont quitté la profession au cours de la dernière décennie faute de perspectives d’avenir et espérer ainsi résoudre le problème d’attractivité.
Cela implique de mettre fin à la précarité, de valoriser les carrières, de revaloriser les salaires évidemment, mais aussi de mettre fin à la surcharge de travail et à la bureaucratie.
Dans le même temps, il est nécessaire de garantir une retraite digne.
La Fenprof milite pour que les enseignants ayant 40 ans de service puissent prendre leur retraite sans pénalité avant l’âge actuellement requis (66 ans et 4 mois), créant ainsi les conditions d’un renouvellement générationnel.
Il est tout aussi urgent d’augmenter le nombre de jeunes qui suivent les cours de formation initiale des enseignants.
Comment vous faites-vous entendre concrètement sur ces questions d’attractivité ?
Nous sommes intervenus d’une part au niveau du pouvoir politique, auprès du Gouvernement et du Parlement, en présentant nos propositions et en alertant sur les conséquences du manque d’attractivité de la profession enseignante, et d’autre part au niveau de la société en général et de la communauté éducative en particulier, en faisant appel à sa mobilisation pour que le Gouvernement se sente obligé d’agir.
Deux initiatives récentes sont à souligner : la manifestation d’enseignants organisée le 4 octobre dernier à Lisbonne devant le Parlement, pour exiger du pouvoir politique le respect de la profession, puis la grève nationale des enseignants le 2 novembre, jour où le ministre s’est rendu au Parlement pour défendre le budget de l’État pour l’éducation, selon nous indéfendable.
Cette grève a été menée à l’initiative de la Fenprof en convergence avec huit autres syndicats d’enseignants. En plus de la grève, les militants syndicaux se sont massés devant le Parlement pendant l’audition du ministre de l’Éducation.
Malgré toutes ces actions, le Gouvernement continue à se cacher derrière des déclarations génériques et rhétoriques, ne répondant pas à nos demandes. Une situation proche de ce que vous connaissez en France.