Enseignant.e.s, qui sommes-nous à l’écran ?

En complément de notre dernier numéro de Quoi de Neuf ?, "École et cinéma", une réflexion sur la représentation des enseignant.e.s à l'écran.

Quel miroir nous tend le cinéma français ? L’image du prof s’est elle nuancée depuis que le noir et blanc appartient à l’histoire du cinéma, ou demeure –t-elle la figure archétypale de Zéro de conduite de Jean Vigo (1933) ou des  400 coups de Truffaut (1959), oscillant entre solennité sourcilleuse et gag burlesque ?

Un type comique indémodable

Nous gardons en tête l’exploit de l’instituteur de Zero de conduite, pris sur le fait par le directeur en train de gravir l’estrade en équilibre sur les mains, et parvenant même à se saisir d’une note de cours, toujours la tête à l’envers, au milieu d’un chahut titanesque ; ou encore la désopilante séquence sportive dans les 400 coups : vêtu d’une tenue qui ne fait que souligner son peu d’aptitude à la course à pied, l’instituteur fait faire le tour de l’arrondissement aux élèves  en sautillant (le stade ne devait pas exister à cette époque) ; le ridicule de sa foulée est augmenté par la cadence militaire de son coup de sifflet. Le comique de la scène culmine quand le zélé professeur tourne la tête pour s’apercevoir que ses gentils élèves ont déserté au premier virage, et qu’il court en réalité tout seul. L’enseignant.e, comme type comique, semble indémodable, si l’on en juge par la bonne fortune, de la production cinématographique, exploitant cette veine : des Sous doués passent le bac aux Profs déclinés en de nombreux épisodes. Quant à la figure autoritaire régnant sur un univers d’inspiration carcéral, en revoyant Entre les murs de Laurent Cantet (2008), on se prend à penser que la peur a changé de camp, et que celui qui, aujourd’hui, se sent piégé entre les murs de l’école n’est plus guère l’élève, mais bien le professeur.

Enseignant, un sacerdoce ?

En ce début d’année, janvier 2017, le film de Hélène Angel avec Sara Forestier Primaire, nous fait pénétrer dans la vie de Florence, une trentenaire lumineuse, professeure des écoles en plein sacerdoce. « aucun élève ne sort de ma classe sans savoir lire ».  Ce personnage surmené, croyant en chaque élève,  dont la vie privée se confond complètement avec la mission éducative à laquelle elle se voue corps et âme, s’épuise jusqu’à frôler la démission. Florence, héroïne du service public, représente un modèle qui a repris de la vigueur depuis une vingtaine d’années : le modèle christique, dont l’exemple le plus abouti reste sans doute le  film poignant de Tavernier Ca commence aujourd’hui (1999) à l’atmosphère spirituelle à la Bernanos. Ce tournant est intéressant car il fait adopter  au public le point de vue de l’enseignant, rompant avec une tradition qui place les spectateurs du côté des élèves. Ce miroir héroïsant a un avantage, il présente aux enseignants une image sublimée et exemplaire de leur rôle et leur rappelle que la société a plus que jamais besoin d’eux. Ce personnage de fiction trouve un relai dans le film documentaire magnifiant l’école et l’engagement de ses personnels, dernier lieu de transmission de valeurs dans une société éminemment matérialiste (Etre ou avoir de Nicolas Philibert).

Cette image idéalisée, si séduisante qu’elle puisse paraître, ne peut pourtant que rendre les enseignant.e.s malheureux.ses, tant la tâche semble peser lourd sur leurs épaules. On comprend alors le découragement de la stagiaire de Florence dans Primaire, peu encline à consentir au sacrifice,  avouant la larme à l’œil à sa tutrice « qu’elle n’y arrivera jamais » – est-ce donc cela  notre métier ? Apporter toujours la même réponse à la variété des difficultés rencontrées : le don de soi accru.

Le christ fonctionnaire se fait plus fréquemment professeur.e des écoles, même si Les Héritiers (2014) campe une professeure d’Histoire exemplaire : Madame Gueguen incarnée par Ariane Ascaride, personnage positif, qui mène jusqu’au bout sa mission rédemptrice en sauvant tout une classe de seconde de l’échec scolaire. Dans le secondaire, les scénarii reposent davantage sur les potentialités du transfert amoureux élève/ professeur.e, certes moins que dans le supérieur, mais  les exemples sont tout de même suffisamment nombreux, (citons Noces blanches (1999) ou La robe du soir (2016) pour qu’en les examinant, on remarque que les personnages de ces histoires enseignent en général des matières littéraires (français, philosophie). Doit on en conclure que les sciences de la vie ou les mathématiques n’auraient aucun pouvoir érotique ?

Peu de place pour les savoirs

Le peu de place que l’écran accorde aux savoirs frappe. Le personnage de prof n’existe pas en tant qu’individu maîtrisant ou transmettant des connaissances mais comme être dévoué aux autres ou comme support identificatoire. Ce n’est pas son savoir que les fictions valorisent mais plutôt son dévouement ou alors son charisme. En revanche c’est son savoir que les films comiques exploitent pour le caricaturer. Le savoir du prof est un luxe inutile ou une lubie de fétichiste. Comme lorsque prof de français joué par Luchini dans le film de François Ozon Dans la maison (2012), vante les mérites de Flaubert à un élève dont le talent narratif se passe très bien des leçons du grand maître. On sent bien que l’élève n’a pas besoin de Flaubert pour captiver son professeur et que le professeur ne captivera pas l ‘élève avec Flaubert. Rares sont les films comme l’Esquive de Kéchiche (2004) qui parviennent à mettre en scène l’appropriation d’une connaissance, tout en ruinant le cliché selon lequel la  littérature du XVIIIème siècle ne saurait intéresser les élèves des quartiers populaires. Le cinéma américain y parvient mieux. Pour preuve, la saison 4 de The Wire qui parvient à montrer comment l’étude des probabilités permet aux prétendants gangsters que sont les élèves de cette école publique de ghetto de gagner aux dés.

Le besoin d’un miroir plus réaliste

Au delà d’une tendance récente à assimiler école et critique sociale (La journée de la jupe (2008), plus récemment Divines (2016), on attend que le cinéma nous tende un miroir plus réaliste et qu’il nous permette davantage d’interroger notre métier au lieu de brasser des lieux communs. Peut-être faut-il revoir Une semaine de vacances de Tavernier, qui en 1980 transformait  les doutes d’une jeune prof de français en mode d’exploration  des singularités du métier d’enseignant: l’implication de la subjectivité qu’il requiert, les remises en question permanentes qu’il impose, les inquiétudes existentielles qu’il déclenche mais aussi la manière dont plus qu’un autre il est relié à l’ensemble du corps social. Tavernier parvenait à agencer des points de vue multiples : à faire entendre le ressenti des élèves en bute à l’incompréhension, l’ambivalence des enseignés que nous sommes tous, le décalage inévitable  entre les attentes que  suscite  l’école et son  pouvoir  limité de transformation individuelle et sociale.

Armelle Jayet

Cet article accompagne la parution du dernier numéro de notre revue Quoi de Neuf : « Ecole et cinéma ».

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