Pédagogie perceptive : La pleine présence à l’école

Nancy Leclerc est professeure de français au collège La Mare aux champs de Vaux le Pénil (Seine et Marne). Elle a découvert il y a quelques années la pédagogie perceptive qui a modifié positivement sa posture en classe. Elle a accepté de partager avec nous cette expérience.

Pédagogie perceptiveQu’est-ce que la pédagogie perceptive ? 

C’est une pratique qui a pour but, entre autres, de développer une qualité de présence à soi.

Cette pratique, fondée par Danis Bois dans les années 1980, a plusieurs outils : toucher de relation mobilisant les fascias, gymnastique sensorielle, méditation, entretien verbal et écriture ont été peu à peu développés.
La pédagogie perceptive agit aussi bien au niveau corporel autant que psychique : les douleurs et maladies chroniques peuvent ainsitrouver une réponse, mais aussi les difficultés liées à la gestion d’une problématique de vie (décès d’un proche, stress au travail, etc).

Les gens commencent souvent par un suivi individuel avec un professionnel de santé pour l’une ou l’autre de ces raisons.

Pour ma part, après un temps de pratique individuelle, j’ai fait le choix de suivre une formation en pédagogie perceptive me permettant d’utiliser ces outils de la méthode dans un cadre collectif, par le biais notamment de l’expressivité : il s’agit de trouver une qualité de relation par une attention tournée vers soi et les autres, que ce soit grâce à la méditation, du mouvement, l’entretien, ou encore l’écriture.
Une fois que l’on trouve cette qualité de relation à soi, on peut travailler l’expressivité, c’est-à-dire une expression individuelle qui peut aussi bien relever du chant, de l’écriture, du théâtre d’improvisation, du clown, etc.

Pédagogie perceptiveQu’est-ce qui t’intéresse dans cette pratique ?

Ce que cela m’a apporté en premier lieu au niveau professionnel, c’est une stabilité de fond. La colère et le stress existent toujours dans le quotidien mais je prends davantage de recul et je reviens beaucoup plus vite à l’équilibre.

Avec 10 minutes de méditation le midi, je refais le plein d’énergie, davantage encore qu’avec la micro-sieste que je pratiquais depuis déjà longtemps. Et en cas de surcharge de travail, je suis plus à même de classer les priorités.

Je pourrais même dire que la priorité des priorités émerge d’elle-même.

De façon plus générale, ce qui m’intéresse dans cette méthode, c’est sa vision humaniste : l’individu est considéré dans sa globalité. Certains oublient parfois qu’un élève n’est pas qu’un élève, de même pour ses collègues ou ses supérieurs.

Je me nourris d’autres outils tels que la théorie des intelligences multiples d’Howard Gardner, la pédagogie Freinet, ou encore la CNV (Communication Non Violente). Je ne vais pas développer ici, mais il y a des points communs, en particulier le fait de faire de ses émotions des alliées, ou encore de considérer la coopération comme une force.

Qu’est-ce que cela change dans tes relations avec les élèves et les collègues ?

Je me souviens du premier conseil pratique que j’ai mis en place avec une surprenante efficacité. Il y a quelques années, je toussais régulièrement, en particulier en septembre. J’ai appris à adopter une autre posture en classe : au lieu d’être vers l’avant de moi-même, tendue vers la classe qui s’agite en face, je me place plus à l’arrière de moi, contre ma colonne, quitte à m’appuyer contre le tableau.

Ainsi, je suis plus stable, plus en lien avec moi-même, et le groupe en face y est sensible.

D’ailleurs, au quotidien, je ne dépense plus mon énergie à hausser le ton sans cesse, je m’appuie aussi sur le silence : il a un pouvoir apaisant sur les élèves mais aussi régulateur. La parole circule mieux et est plus juste après un temps de silence individuel et collectif.

Je ne commence pas un cours ni une réunion sans ce précieux temps de silence.

Par ailleurs, en classe, j’ai le sentiment de développer une plus grande attention à chacun dans le groupe. C’est autant une question d’attention aux détails qu’une posture globale consistant à entendre l’ensemble, comme dans un orchestre.

A qui s’adresse la pédagogie perceptive ?Pédagogie perceptive

A tous, il n’y a pas d’âge!

Pour ma part, je l’ai découverte à 28 ans, lorsque j’avais le dos coincé : je me suis débarrassée en quelques mois de douleurs auxquelles je m’étais tant habituée que je pensais vivre avec pour toujours. Mon fils quant à lui, ne dormait plus entre 12 et 15 mois ; quelques séances nous ont permis de retrouver des nuits plus sereines.
Outre les collègues et les élèves stressés, je pense souvent aux parents qui me font part de leurs difficultés à gérer le quotidien avec leurs adolescents : ils peuvent trouver dans les séances individuelles ou collectives un outil pour mettre en mouvement une autre dynamique de relation avec leurs enfants.

Que mets-tu en oeuvre dans ton établissement ?

Comme je le disais, j’ai d’abord réajusté ma posture en classe. Il est difficile de faire la part des choses entre ce qui vient de la pédagogie perceptive et les autres outils que je choisis de mettre en place peu à peu.

Ce qui est sûr, c’est que je garde intact mon désir de faire évoluer ma pratique, pour qu’elle soit au plus près des besoins des jeunes que j’accompagne.

Cet ajustement de ma posture me permet d’attirer l’attention des jeunes sur leur propre posture lorsqu’ils s’expriment.

Pédagogie perceptiveDe façon plus visible, j’ai commencé en 2017- 2018 à accompagner quelques collègues demandeurs dans des moments d’introspection sensorielle, de méditation en mouvement, sur chaise. Les résultats m’ont surprise car mes collègues ont très rapidement témoigné de façon positive :
« Tu m’as permis de ressentir des parties de moi qui ne souffrent pas et que je ne sentais plus depuis longtemps. »,
« Je me sens beaucoup plus reposée »,
« J’ai vu un grand soleil, doux et lumineux, ça m’a fait du bien, comme un grand sourire ! ».

La difficulté première était – et reste malheureusement – de trouver un créneau horaire commun.

En 2018- 2019, j’ai mis en place un « club zen » sur le temps de pause méridienne : chaque lundi, avec un groupe de 5 à 15 élèves de 6e et 5e, nous y avons pratiqué des ateliers à base de mouvements lents, d’écriture, d’écoute du silence, d’improvisation théâtrale, d’éléments de yoga et surtout d’une parole bienveillante autour de ses ressentis.

Ces ateliers de 30 à 40 minutes sont un peu courts à mon goût, mais ils constituent une parenthèse de calme et de retour à soi précieuse dans une journée de collectivité.

Quels sont les projets que tu aimerais voir réaliser dans l’Education Nationale ?

Je compte poursuivre la mise en œuvre de ces ateliers aussi bien avec la communauté éducative qu’avec les élèves, car ces publics différents sont tous deux à la fois très intéressants et très en demande de lenteur et d’apaisement.

La question du climat scolaire est en effet cruciale et nous concerne tous.

J’aimerais cependant que l’utilité de ce type d’intervention soit reconnue, et donc rémunérée
: j’ai financé l’ensemble de ma formation professionnelle et j’interviens pour l’instant de façon bénévole.

En imaginant mon avenir à moyen terme, j’envisage d’intervenir :
■ auprès d’équipes de collègues pour leur faire connaître la méditation pleine présence et quelques outils pratiques leur permettant de prendre du recul dans leur quotidien ;
■ auprès des élèves, préparant par exemple des examens, pour les aider à gérer leur stress, ou encore en décrochage, afin de les aider à retrouver le goût de faire.

Pratiques pédagogiques

Ayant une affinité particulière avec l’écriture, je développe au sein de mes cours et en dehors, des pratiques pédagogiques qui permettent de déployer une expressivité individuelle ou collective : il me semble important que chacun se sente autorisé d’explorer plus librement ce mode d’expression, trop souvent freiné par un souci de la faute d’orthographe. J’ai déjà mis en place avec satisfaction la pratique du journal de lecture, et j’ai participé à la création du journal du collège, Le canard des champs, mais je cherche encore d’autres formats.

J’explore aussi depuis peu l’approche théâtrale qui permet de remettre le corps et la voix en valeur.

De façon plus globale, j’aimerais que l’école considère davantage la place du corps dans les apprentissages, et que le bien-être et la responsabilité de chacun devienne une préoccupation majeure dans les projets d’établissements.

Comment bien apprendre – ou enseigner – si les besoins de chacun à son moment d’évolution personnelle ne sont pas respectés ?

Nous réfléchissons avec la vie scolaire, à la mise en place, comme cela existe ailleurs, de médiateurs, afin que les élèves deviennent davantage acteurs dans la gestion des conflits ; c’est tout un travail sur les émotions et la relation à l’autre qui est à mettre en place, avec tous les acteurs d’un établissement.

Bibliographie/sitographie :

https://fepapp.fr/ : le site des actualités et pratiques de la Pédagogie Perceptive et de la somato-psychopédagogie
Le moi renouvelé, Danis Bois, éditions Point d’appui : introduction à la somato-psychopédagogie
La gymnastique sensorielle pour tous, Isabelle Eschalier, éditions Trédaniel
100% attentif, Pascale Lesauvage, édition Bayard jeunesse : 30 jeux pour gagner en attention et en concentration
La méditation pleine présence, Danis Bois et Isabelle Eschalier, éditions Eyrolles
Emotions : enquête et mode d’emploi, BD de Art-mella
Un prof heureux peut changer le monde, Thich Nhat Hanh : quelques fiches pour pratiquer et éduquer à la pleine conscience

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